Ce jeudi à 23h, France 3 Bourgogne-Franche-Comté propose une soirée documentaire inédite composée de deux films singuliers et profondément humains. À commencer par Qu’est-ce qu’on va penser de nous ?, un documentaire intime et autobiographique signé Lucile Coda, qui interroge avec acuité la fracture sociale, les rêves d’émancipation et le poids de la honte dans les trajectoires familiales. Un film qui entrelace le récit personnel et la mémoire collective, en racontant avec tendresse et lucidité le parcours d’une jeune femme décidée à ne pas reproduire la vie de ses parents ouvriers. En seconde partie de soirée, Je t’écris prendra le relais avec une approche à la fois légère et réflexive sur l’évolution du langage écrit à l’heure du numérique.
Le récit d’une fuite sociale déguisée en ascension
Lucile a grandi avec cette idée persistante qu’elle devait “s’en sortir”. Elle n’a jamais vraiment dit d’où elle venait, préférant travestir la réalité : son père était ouvrier, cantonnier, balayeur ; sa mère, secrétaire. Elle, elle disait autre chose. Le collège a été le théâtre de la première trahison : elle mentait sur la profession de ses parents. Pas par honte des gens qu’ils étaient, mais de ce que la société faisait de ces métiers. Dans Qu’est-ce qu’on va penser de nous ?, elle revient sur cette dissimulation précoce, comme un premier pas vers une rupture assumée avec son milieu d’origine. Le documentaire explore sans détour cette blessure intime, cette gêne sociale si souvent tue dans les récits de réussite. Et si, en voulant s’émanciper de ses racines, Lucile avait aussi abandonné une part d’elle-même ?
Le diplôme en poche, l’impression de vide
Elle voulait Paris, la réussite, le grand saut. À 25 ans, Lucile décroche un poste, un vrai, dans la capitale, avec un diplôme d’école de commerce à faire pâlir ses anciens camarades. Et pourtant, le malaise ne la quitte pas. Ce n’est pas de l’ingratitude, ni de l’arrogance. C’est une fatigue, une désillusion. Elle qui croyait que la réussite scolaire l’éloignerait de la souffrance et de la précarité découvre une autre forme d’aliénation, plus insidieuse. À travers son film, elle questionne cette injonction à “réussir” coûte que coûte, et les sacrifices identitaires qu’elle suppose. Le travail, qui aurait dû être une victoire, devient source d’angoisse. Peut-on réellement couper les ponts avec ses origines sans se perdre en route ?
Une ode silencieuse aux travailleurs de l’ombre
En filmant ses parents, Lucile répare. Elle recompose un dialogue longtemps resté en suspens, observe leur quotidien, écoute leurs silences, leurs gestes. Sans voyeurisme ni misérabilisme, Qu’est-ce qu’on va penser de nous ? s’impose comme un hommage discret à ces vies discrètes. Son père, qui a balayé les rues sans jamais se plaindre. Sa mère, qui a tapé des courriers toute une vie sans en écrire un seul pour elle. Le film les place au centre, pour une fois, et donne à entendre cette dignité muette que la société regarde trop peu. C’est aussi un regard tendre et sans condescendance sur ceux qui ont porté les ambitions de leurs enfants sans jamais en attendre de reconnaissance.
Et après ? Une génération en quête de sens
La soirée continue avec Je t’écris, une comédie documentaire qui, en écho au film précédent, explore elle aussi une transition, celle du langage. Ici, ce sont les mots, les lettres, les expressions qui prennent le relais, ou qui s’effacent, dans un monde pressé. Entre rires et réflexions, des adolescents, une écrivaine publique et des spécialistes du langage s’interrogent sur la disparition de l’écrit, ou peut-être sa transformation. Ce second film, en apparence plus léger, entre en résonance avec Qu’est-ce qu’on va penser de nous ?, en posant à son tour la question de ce que l’on transmet, ce que l’on dit – et surtout, ce que l’on tait. Deux documentaires, deux regards sur un monde en mutation, où la parole et les origines ne tiennent plus les mêmes promesses.