Paru en juillet 2025 sur Netflix, The Decameron est une création qui ne laisse pas indifférent. Librement inspirée du chef-d’œuvre littéraire de Boccace, la série propose une fresque historique aussi délirante qu’intelligente, où la comédie noire flirte avec la critique sociale. Huis clos claustrophobe, galerie de personnages hauts en couleur, rythmes effrénés et dialogues acérés : ce cocktail explosif fait de The Decameron l’une des œuvres les plus réjouissantes et corrosives de l’année.
Une relecture mordante du chef-d’œuvre de Boccace
Publié au XIVe siècle, Le Décaméron de Giovanni Boccace racontait comment dix jeunes Florentins, fuyant la peste noire, se réfugiaient à la campagne et tuaient le temps en se racontant cent histoires. Ce texte, d’une modernité saisissante, portait déjà en lui une critique sociale, une exploration du désir, de l’hypocrisie et de la nature humaine face à la mort.
La série The Decameron, sans prétendre en faire une adaptation fidèle, en capte l’essence : la fuite, le huis clos, le masque social qui se fissure sous la pression de la peste, et la libération des instincts humains.
Un huis clos comique… mais terriblement lucide
Le pitch est simple : un groupe de nobles, de domestiques, de religieux et d’imposteurs se retrouve confiné dans une villa luxueuse, supposée les mettre à l’abri du fléau. Mais très vite, le vernis craque. Les masques tombent. Chaque convive cache un secret, parfois honteux, parfois dangereux. Et dans cette atmosphère délirante et décadente, la vérité devient une bombe à retardement.
Au fil des épisodes, le spectateur assiste à une série de révélations, de renversements et de tensions. La comédie se teinte d’absurde, de noirceur, et parfois de poésie. On rit, souvent jaune. La satire est omniprésente : elle vise l’Église, l’aristocratie, la classe moyenne émergente, et même la figure divine, représentée dans le dernier épisode par un personnage aussi mystérieux que grotesque.

Une galerie de personnages savoureuse et cruelle
Ce qui fait le sel de The Decameron, ce sont ses personnages, tous finement écrits et merveilleusement interprétés :
Le maître de maison, énigmatique et manipulateur, semble orchestrer les invitations comme un jeu d’échecs morbide.
L’imposteur, qui se fait passer pour ce qu’il n’est pas, incarne le cynisme social.
La fausse dévote, toute en minauderies et en fausse pureté, devient le symbole d’une religion hypocrite.
Le fou amoureux, homosexuel et marginal, représente les amours interdites et sincères.
Le cuisinier revanchard, les nobles arrogants, la servante trop lucide, les jeunes femmes en quête de liberté : chacun joue un rôle dans cette tragicomédie de la fin du monde.
Mais tous ont un point commun : ils sont piégés, à la fois par la maladie dehors… et par leurs propres mensonges dedans. Et ce n’est pas toujours la peste qui tue.
Rythme effréné et mise en scène luxuriante
La série frappe fort dès les premières minutes avec un rythme effréné, des dialogues ciselés, et une réalisation flamboyante. Le huis clos devient un théâtre d’excès, où la musique, les costumes, les décors contribuent à une ambiance baroque, presque onirique.
Certains passages relèvent du grand comique, d’autres du coup de poing symbolique, et l’ensemble est porté par une direction artistique sans faute. On pense à The Great pour la liberté de ton, à Barry Lyndon pour l’esthétique, et à Succession pour la cruauté dans les rapports humains.
Un message universel : tous égaux devant la mort ?
Au-delà de la satire et du rire, The Decameron délivre un message profond : la peste, comme la vérité, remet chacun à sa place. Elle égalise les statuts sociaux, pulvérise les privilèges, et force à regarder en face ce que l’on est vraiment.
Les personnages qui assument leur vérité, qui confessent leurs fautes, semblent mieux armés pour survivre que ceux qui persistent dans le mensonge. Cette tension morale, jamais assénée de manière didactique, donne à la série toute sa densité.
Et lorsqu’un personnage énigmatique, au visage presque divin, vient conclure l’intrigue dans une ultime satire — révélant peut-être être le diable lui-même — on comprend que The Decameron n’a jamais été une simple comédie. C’est un miroir, cruel et jouissif, tendu à notre époque.
Pourquoi regarder The Decameron ?
Parce que c’est :
- Une œuvre brillante, drôle, cruelle, et parfaitement écrite ;
- Un huis clos d’époque qui parle à notre monde contemporain ;
- Une exploration des rapports de classe, du pouvoir, du secret et du désir ;
- Une réflexion sur la vérité, la survie et la nature humaine, au milieu du chaos ;
- Et surtout, une série qui ne ressemble à aucune autre.
Critique rédigée par Remi Jorge Adan Saunier
Verdict
Note : 9/10
The Decameron réussit l’exploit de mêler la farce, la critique sociale et la métaphysique, sans jamais ennuyer. Une satire médiévale décapante, à ne pas rater
Série comédie de Andrew DeYoung et Anya Adams (2025)
Avec : Amar Chadha-Patel, Leila Farzad, Lou Gala, Karan Gill, Tony Hale, Saoirse-Monica Jackson,
Zosia Mamet, Douggie McMeekin, Jessica Plummer, Tanya Reynolds…

The Decameron
disponible sur Netflix